Quiconque a voyagé au Cap-Vert connaît forcément le grogue, ou aguardente, soit pour en avoir entendu parler, soit pour en avoir goûté et en ce cas probablement apprécié. Cet alcool, qui ne présente guère de ressemblance avec le "grog" que nous connaissons ici, est issu de la distillation de la canne à sucre, et est produit principalement sur l'île de Santo Antão, le "jardin" sinon du Cap-Vert, du moins des îles du Nord.
Plus précisément, il est distillé dans les nombreux trapiches (ateliers artisanaux) qui jonchent les vallées verdoyantes près de Paul ou de Janela, dans la partie Nord de l'île. Mais il est surtout consommé sur l'île voisine de São Vicente, bien plus peuplée en raison de sa ville, Mindelo, qui passe pour être la cité de tous les plaisirs et de tous les excès.
Ainsi, de nombreux récits narrent les péripéties qui entourent le transport de ces marchandises si particulières.
Tout commence par la traversée de l'île, de Ribeira Grande (alias Povação), au Nord, jusqu'au petit port de Porto Novo, au Sud. Ce parcours long de 36 km s'effectue sur une route impressionante tant par sa quantité de lacets que par son tracé qui passe par les hauts sommets du centre de l'île, avec des vues panoramiques à couper le souffle. Surnommée la route de la corde, cette voie pavée, véritable monument historique, dont la construction il y a un demi-siècle demeure pour beaucoup synonyme de labeur, d'exploitation, et de misère, est l'unique lien qui rattache les deux parties de l'île - du moins jusqu'à l'ouverture imminente d'une nouvelle route qui doit longer la côte.
Puis vient la traversée périlleuse de l'étroit chenal qui sépare les deux îles, la Mer du Canal, celle qui est si contrariante et versatile, comme le dit la chanson interprétée par Bana et Cesaria Evora (Mar d'Canal, bo é carambolente...). Dans un passage de Galo cantou na baia (Le coq a chanté dans la baie), Manuel Lopes décrit l'humeur des quelques passagers - et notamment d'une vendeuse transportant du grogue - embarqués sur le raffiot de Jom Tudinha, et qui croient vivre les derniers moments de leur vie, face à des vents obstinément contraires et à une mer déchaînée, qui les empêchent de gagner Mindelo. Un autre récit raconte la dérive d'une felouque qui devait rejoindre Mindelo et a finalement terminé sa longue course sur les côtes du Brésil. L'histoire dit que les passagers ont échappé à la mort par déshydratation, mais qu'à leur débarquement, leurs esprits étaient ailleurs : dans ces circonstances, quand la soif se fait sentir, on ne regarde pas à la boisson !
La traversée de ce canal a longtemps hanté les esprits des Cap-Verdiens, qui voient la mer comme un obstacle, comme celle qui sépare les îles plutôt que celle qui les relie.
Voilà une des raisons, entre autres, et sans rentrer dans des considérations gustatives, pour lesquelles le grogue est apprécié à Mindelo. Parce qu'il vient de loin, et en même temps, de tout près. Parce qu'il contient un petit quelque chose de l'île voisine, qui pour beaucoup de Mindelenses, à une époque encore récente, n'était qu'une ombre inatteignable planant au-dessus de l'horizon.
Le "grogue velha" est aussi, pour le voyageur, un des quelques rares éléments qu'il pourra ramener de son périple, pour offrir à ses proches, qui risquent fort d'apprécier.
Mais l'expression créole "fazê grogue", littéralement "faire du grogue", a une signification particulière. En effet, les Mindelenses ont l'habitude de se retrouver en début de soirée sur la Praça Amilcar Cabral, couramment surnommée Praça Nova. Cette charmante place rectangulaire agrémentée d'un kiosque est le point de rencontre de toutes les générations pour discuter, échanger les dernières nouvelles, s'amuser, écouter la fanfare municipale, draguer. Et les gens, au lieu de rester sur place à bavarder, ont plutôt coutume de marcher lentement en faisant plusieurs fois le tour de la place.
Ce mouvement de rotation rappelle celui des boeufs autour du pressoir qui extrait le suc de la canne, d'où l'expression "fazê grogue", qui veut donc dire "se divertir en faisant quelques pas autour de la place et retrouvant ses amis".
A noter que la même tendance par la population locale à "faire du grogue" a été remarquée à Ponta de Sol, sur la place centrale. Curieux, tout de même !
Plus précisément, il est distillé dans les nombreux trapiches (ateliers artisanaux) qui jonchent les vallées verdoyantes près de Paul ou de Janela, dans la partie Nord de l'île. Mais il est surtout consommé sur l'île voisine de São Vicente, bien plus peuplée en raison de sa ville, Mindelo, qui passe pour être la cité de tous les plaisirs et de tous les excès.
Ainsi, de nombreux récits narrent les péripéties qui entourent le transport de ces marchandises si particulières.
Tout commence par la traversée de l'île, de Ribeira Grande (alias Povação), au Nord, jusqu'au petit port de Porto Novo, au Sud. Ce parcours long de 36 km s'effectue sur une route impressionante tant par sa quantité de lacets que par son tracé qui passe par les hauts sommets du centre de l'île, avec des vues panoramiques à couper le souffle. Surnommée la route de la corde, cette voie pavée, véritable monument historique, dont la construction il y a un demi-siècle demeure pour beaucoup synonyme de labeur, d'exploitation, et de misère, est l'unique lien qui rattache les deux parties de l'île - du moins jusqu'à l'ouverture imminente d'une nouvelle route qui doit longer la côte.
Puis vient la traversée périlleuse de l'étroit chenal qui sépare les deux îles, la Mer du Canal, celle qui est si contrariante et versatile, comme le dit la chanson interprétée par Bana et Cesaria Evora (Mar d'Canal, bo é carambolente...). Dans un passage de Galo cantou na baia (Le coq a chanté dans la baie), Manuel Lopes décrit l'humeur des quelques passagers - et notamment d'une vendeuse transportant du grogue - embarqués sur le raffiot de Jom Tudinha, et qui croient vivre les derniers moments de leur vie, face à des vents obstinément contraires et à une mer déchaînée, qui les empêchent de gagner Mindelo. Un autre récit raconte la dérive d'une felouque qui devait rejoindre Mindelo et a finalement terminé sa longue course sur les côtes du Brésil. L'histoire dit que les passagers ont échappé à la mort par déshydratation, mais qu'à leur débarquement, leurs esprits étaient ailleurs : dans ces circonstances, quand la soif se fait sentir, on ne regarde pas à la boisson !
La traversée de ce canal a longtemps hanté les esprits des Cap-Verdiens, qui voient la mer comme un obstacle, comme celle qui sépare les îles plutôt que celle qui les relie.
Voilà une des raisons, entre autres, et sans rentrer dans des considérations gustatives, pour lesquelles le grogue est apprécié à Mindelo. Parce qu'il vient de loin, et en même temps, de tout près. Parce qu'il contient un petit quelque chose de l'île voisine, qui pour beaucoup de Mindelenses, à une époque encore récente, n'était qu'une ombre inatteignable planant au-dessus de l'horizon.
Le "grogue velha" est aussi, pour le voyageur, un des quelques rares éléments qu'il pourra ramener de son périple, pour offrir à ses proches, qui risquent fort d'apprécier.
Mais l'expression créole "fazê grogue", littéralement "faire du grogue", a une signification particulière. En effet, les Mindelenses ont l'habitude de se retrouver en début de soirée sur la Praça Amilcar Cabral, couramment surnommée Praça Nova. Cette charmante place rectangulaire agrémentée d'un kiosque est le point de rencontre de toutes les générations pour discuter, échanger les dernières nouvelles, s'amuser, écouter la fanfare municipale, draguer. Et les gens, au lieu de rester sur place à bavarder, ont plutôt coutume de marcher lentement en faisant plusieurs fois le tour de la place.
Ce mouvement de rotation rappelle celui des boeufs autour du pressoir qui extrait le suc de la canne, d'où l'expression "fazê grogue", qui veut donc dire "se divertir en faisant quelques pas autour de la place et retrouvant ses amis".
A noter que la même tendance par la population locale à "faire du grogue" a été remarquée à Ponta de Sol, sur la place centrale. Curieux, tout de même !
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